à propos du PARIS-BREST-PARIS

Compétition ou Rando ?

Par Jan Heine et Melinda Lyon

Traduction Jean-Gualbert FABUREL
(publié d’origine dans “American Randonneur” Février 2004)

En 2003, les premiers arrivants masculins ont été volontairement écartés de la cérémonie de clôture de Paris-Brest-Paris et ce pour la première fois depuis la création de l’épreuve. Alors qu’ils avaient effectué le parcours dans le temps le plus court de l’histoire du PBP Randonneur, ils ont été pénalisés de deux heures suite à différentes infractions aux règles.

Un des contrôleurs, Gilbert Bulté, énumère les infractions : « pousser les contrôleurs lors d’un contrôle, uriner en ville, ne pas respecter de nombreux feux rouges et stops, être éclairés par une voiture suiveuse illégalement sur le parcours, refuser de laisser passer la voiture d’un contrôleur, manquer de respect envers les contrôleurs. » Robert Lepertel, l’ancien organisateur du PBP, écrit dans le bulletin de la fédération française de cyclotourisme : « jamais autant de cyclos spectateurs ou acteurs ne se sont sentis agressés par ce non-respect du règlement […] La douzaine ou quinzaine d’acteurs des premiers groupes […] n’ont pas eu le respect de l’organisateur, des contrôleurs et de tous ceux qui font de PBP une fête et une confirmation de leur capacité à se surpasser pour réussir. Ils ne méritent plus le terme de “randonneurs” qui s’applique à ceux qui savent ce que rouler en autonomie veut dire. » (Cyclotourisme n°518, octobre 2003, p. 34)
Des propos très fermes, d’autant plus que les randonneurs pénalisés estiment n’avoir fait aucune faute ou écart extraordinaire. Comme ils ne pouvaient respecter chaque point du règlement, ils estiment qu’ils se sont comportés comme n’importe quel randonneur durant l’épreuve. Les organisateurs ont réaffirmé que non seulement les différentes infractions individuelles méritaient une pénalité, mais surtout que l’état d’esprit des premiers arrivants était contraire aux principes de l’épreuve. Il y a clairement une différence de vision entre ce que doit être le PBP pour les organisateurs et ce qu’il est pour ces premiers arrivants.

Les organisateurs affirment clairement que PBP n’est pas une course et que l’esprit des randonneurs est menacé par le comportement de ces cyclistes. Mais qu’est-ce que l’esprit « randonneur » ? Le règlement de PBP fournit il est vrai peu d’information à ce sujet. Toutefois, le règlement des Brevets de Randonneurs Mondiaux indique bien que « ces brevets n’étant pas des compétitions, ils ne comportent pas de classement » (article 12). Mais alors pourquoi les organisateurs de PBP publient-ils les temps de chacun des participants, et pourquoi mettre en évidence des records et distribuer des trophées aux randonneurs les plus rapides dans leur catégorie ? Cela ne signifierait-il pas que PBP est une course pour ceux qui souhaitent aller le plus vite possible ? On peut comprendre alors pourquoi certains décident d’enfreindre encore d’autres règles pour essayer d’arriver premier. 

Pour expliquer cette apparente contradiction, il faut se référer à l’histoire de Paris-Brest-Paris. En 1931, les randonneurs ont rejoint PBP, une course professionnelle depuis 1891. Dans les années 50, les courses professionnelles deviennent de plus en plus courtes. L’entraînement nécessaire pour PBP étant spécifique, il n’était plus possible pour des coureurs professionnels de compromettre toute une saison pour une victoire aléatoire dans PBP. Ainsi disparut la course professionnelle PBP. Les randonneurs ont repris le flambeau.
À la différence des coureurs, qui gagnent leur vie grâce au vélo, les randonneurs pédalent pour le plaisir. Ils sont fiers d’être amateurs, amoureux de la petite reine. Les randonneurs ont parfois un esprit compétitif (la version Audax existe pour ceux qui ne veulent aucune compétition), mais c’est une compétition amicale. Bon nombre d’entre eux sont restés impliqués toute leur vie dans ce sport, comme simples participants (le plus rapide en 1956, Roger Baumann, a continué jusqu’en 1995 pour atteindre le record de 10 participations) ou comme bénévoles. Par exemple, Gilbert Bulté, le contrôleur mentionné ci-dessus, était sur un des deux tandems qui ont battu tous les vélos solo en 1956. Roger Baumann, le détenteur du record mentionné ci-dessus, officiait à Villaines-La-Juhel cette année. L’organisateur de PBP 2003, Pierre Théobald, a réalisé deux PBP en moins de 55 heures.
Clairement, les organisateurs de PBP acceptent l’esprit de compétition, mais ils ne voient pas PBP comme course. La différence est subtile et elle se trouve dans la convivialité. Tandis que la course est plus une bataille avec un seul vainqueur, la randonnée doit être un instant de convivialité et de plaisir. Ou comme un ami non-randonneur me l’a dit un jour : « C’est la recherche d’un cyclisme parfait, sur n’importe quelle distance, par n’importe quel temps, en autonomie ».
Cela ne signifie pas que vous devez rouler doucement ou que toute compétition doit être écartée. Après tout, PBP est en lui-même une performance : vous obtenez seulement une médaille en terminant dans les délais. Pour de nombreux randonneurs, il s’agit simplement d’arriver juste avant la limite des 90 heures ! Et il n’y a rien de mal à se défier soi-même et à essayer de faire mieux que les éditions précédentes. Ou même d’essayer de rouler plus vite que les autres. Mais le plus important reste que chaque personne terminant PBP est un vainqueur. Quelqu’un peut rouler le plus vite, voir même obtenir un trophée, mais il ne pourra jamais prétendre avoir remporté la course PBP. Tout le monde reçoit la même médaille. Les spectateurs le savent bien et encouragent encore plus les derniers que les premiers.
La différence avec une course est claire : seuls les plus rapides sont mentionnés dans une course. Par nature, les gagnants potentiels d’une course sont plus importants que les autres. Si un cycliste attardé est rattrapé dans une course en circuit, on s’attend à ce qu’il s’écarte pour ne pas gêner les coureurs les plus rapides, quand il n’est pas tout simplement prié de sortir du circuit. Dans une randonnée, tous les participants sont égaux. Les plus rapides des randonneurs ne doivent pas s’attendre à voir les plus lents leur laisser la priorité lors des contrôles. Même les plus rapides doivent avoir un comportement correct vis-à-vis des autres participants, des spectateurs et des contrôleurs.
Les randonneurs doivent aussi être autonomes. Même si les voitures d’assistance sont autorisées lors des contrôles – tout simplement car il serait difficile d’imposer une interdiction ! – on s’attend à ce que les randonneurs puissent être autonomes, et soient bien préparés pour relever les défis du parcours.
Comme pour les randonnées, les courses ont leur propre éthique comme ne pas attaquer quand une personne crève ou lors des « pauses techniques ». Ces règles ne sont pas écrites, et chacun peut les interpréter différemment.

sous titre

Voici notre vision

  • En tout premier, toujours rester poli, c’est-à-dire respecter les autres participants. Tandis que l’agressivité brutale a sa place dans une course, elle ne doit pas exister dans une randonnée. Il faut essayer d’être toujours un ambassadeur pour la randonnée, pour son club et pour son pays.
  • Si vous êtes dans un peloton et que tout le monde participe aux relais, essayez de finir ensemble, même si vous devez vous arrêter pour une crevaison (à moins qu’un randonneur ait des crevaisons multiples à cause de vieux pneus ou d’un matériel non adapté).
  • Proscrivez les attaques. Si des personnes sont distancées car elles ne peuvent pas suivre le rythme, soit. Mais il n’est pas acceptable de faire des accélérations répétées pour distancer ses compagnons de route. C’est pourquoi il n’y a aucun sprint final : tous les randonneurs du groupe recevront le même temps. Dans une course, il faut un équipement complexe et des décisions difficiles pour déterminer exactement qui a coupé la ligne en premier, ne serait-ce que d’un demi-centimètre.
  • Évitez de vous mettre en “situation irrégulière”. Suivez le règlement. Cela commence par le respect du code de la route : respectez les stops et les feux tricolores.
  • Roulez seulement avec des randonneurs qui sont des participants. S’il y a une voiture derrière votre peloton durant une longue période, en particulier la nuit, cela n’est pas normal. S’il s’agit d’une voiture officielle de l’organisation, elle roulera avec ses feux de croisement et assez loin pour éviter de donner un avantage aux premiers randonneurs. Si vous vous trouvez en présence d’une voiture suiveuse non autorisée, essayez de partir ou laissez-vous distancer, mais ne restez pas avec ce peloton. Même s’il est difficile de renoncer à l’avantage d’un peloton, considérez que si vous êtes pris, les pénalités seront supérieures au temps gagné avec le peloton.
  • Soyez amical avec les bénévoles et les contrôleurs. Respectez leurs demandes. Remerciez-les de leur temps. Ceci ne prend qu’une seconde ou deux mais sans eux, vous ne pourriez pas vivre cet événement merveilleux.
  • Finissez la randonnée ! Le but est de faire la meilleure randonnée possible en fonction des évènements. Le plus grand échec est de partir vite et d’abandonner car vous ne pouvez pas réaliser le temps que vous espériez.

Naturellement, cette philosophie ne s’applique pas seulement à PBP, mais à toutes les randonnées en général. Faites-vous plaisir, allez vite si vous aimez le faire, lancez des défis à vous-même et aux autres, mais rappelez-vous : ce n’est pas une course !

Jan Heine, de Seattle aux U.S.A., a terminé son deuxième PBP en 2003. Avec Jaye Haworth, il a effectué le parcours sur un tandem Herse de 1954 en 52h45, meilleur temps des tandems mixtes. Jan est rédacteur en chef de Vintage Bicycle Quarterly, une revue de vélos classiques et de l’histoire des randonneurs (www.vintagebicyclepress.com). Il appartient au club « Seattle International Randonneurs ».

Melinda Lyon, de Boston aux U.S.A., est une multirécidiviste sur PBP. Elle a terminé l’édition 2003 en 54h48, première femme sur un vélo solo.